Suzanne est morte. À la demande de B, nous avons veillé le corps de Suzanne avec D, dans le froid et la pénombre de la chambre du service « réanimation » de l’oncopole de Toulouse où elle s’est éteinte.
Je suis content d’être arrivé à temps de Paris et d’avoir eu la chance de voir quelques minutes sa faible respiration soulever encore sa poitrine 1h avant qu’elle ne s’interrompe définitivement.
J’ai pu toucher brièvement la peau de sa main et de son front encore chaude d’un souffle de vie.
J’ai touché à nouveau du bout des doigts le dessus de son poignet alors qu’elle n’était plus. Le contact fut glacé cette fois, bien évidemment, comme on le dit dans les films et dans la littérature.
Le chagrin n’est pas toujours fait uniquement de tristesse. Le dit-on aussi parfois dans la littérature ou les films ? Parfois le chagrin est à sa place. Il faut le vivre pour le savoir. Pour savoir combien le chagrin peut être juste, peut prendre justement sa place pour se mettre en équilibre avec la mort si triste, elle, si injuste.
Tout au long de ces heures passées près de son corps inerte avec D, dans le train, puis seul à l’hôtel et encore maintenant, de retour chez moi, j’ai eu en tête une ritournelle chantée par une femme et reprise en choeur par des hommes, des soldats. Il s’agit de la chanson qu’interprète timidement devant les troupes la, pas encore, future madame Kubrick, à a fin des « Sentiers de la gloire ».
La chanson s’appelle « Der treue Husar » (Le Hussard fidèle).On peut l’entendre à la 4ème minute de cet extrait telle qu’elle me trotte dans la tête encore à l’instant où j’écris en pensant à Suzanne :
https://www.youtube.com/watch?v=s3ifRA0Kj-8
Avant de devenir Christiane Kubrick, la jeune actrice allemande exerçait son métier sous le nom de Susanne Christian. Sans doute est-ce dans ce deuxième prénom de baptême, Suzanne, mis en avant pour se créer un nom de scène qu’il faut chercher une raison à l’entêtante présence de ce refrain en arrière-plan de mon esprit durant ces quelques jours.
La Suzanne que j’ai connue, elle, était professeur d’allemand. Elle aurait traduit sans mal les paroles de ce Hussard fidèle que je ne peux comprendre sans aide. Les voici :
- 1. Es war einmal ein treuer Husar,
- Der liebt’ sein Mädchen ein ganzes Jahr,
- |: Ein ganzes Jahr und noch viel mehr,
- Die Liebe nahm kein Ende mehr.
- 2. Der Knab’ der fuhr ins fremde Land,
- Derweil ward ihm sein Mädchen krank,
- |: Sie ward so krank bis auf den Tod,
- Drei Tag, drei Nacht sprach sie kein Wort.
- 3. Und als der Knab’ die Botschaft kriegt,
- Daß sein Herzlieb am Sterben liegt,
- |: Verließ er gleich sein Hab und Gut,
- Wollt seh’n, was sein Herzliebchen tut.
- 4. Ach Mutter bring’ geschwind ein Licht,
- Mein Liebchen stirbt, ich seh’ es nicht,
- |: Das war fürwahr ein treuer Husar,
- Der liebt’ sein Mädchen ein ganzes Jahr.
- 5. Und als er zum Herzliebchen kam,
- Ganz leise gab sie ihm die Hand,
- |: Die ganze Hand und noch viel mehr,
- Die Liebe nahm kein Ende mehr.
- 6. “Grüß Gott, grüß Gott, Herzliebste mein!
- Was machst du hier im Bett allein?”
- |: “Hab dank, hab Dank, mein treuer Knab’!
- Mit mir wird’s heißen bald: ins Grab!”
- 7. “Grüß Gott, grüß Gott, mein feiner Knab.
- Mit mir wills gehen ins kühle Grab.
- |: “Ach nein, ach nein, mein liebes Kind,
- Dieweil wir so Verliebte sind.”
- 8. “Ach nein, ach nein, nicht so geschwind,
- Dieweil wir zwei Verliebte sind;
- |: Ach nein, ach nein, Herzliebste mein,
- Die Lieb und Treu muß länger sein.
- 9. Er nahm sie gleich in seinen Arm,
- Da war sie kalt und nimmer warm;
- |: “Geschwind, geschwind bringt mir ein Licht!
- Sonst stirbt mein Schatz, daß’s niemand sicht.
- 10. Und als das Mägdlein gestorben war,
- Da legt er’s auf die Totenbahr.
- |: Wo krieg ich nun sechs junge Knab’n,
- Die mein Herzlieb zu Grabe trag’n?
- 11. Wo kriegen wir sechs Träger her?
- Sechs Bauernbuben die sind so schwer.
- |: Sechs brave Husaren müssen es sein,
- Die tragen mein Herzliebchen heim.
- 12. Jetzt muß ich tragen ein schwarzes Kleid,
- Das ist für mich ein großes Leid,
- |: Ein großes Leid und noch viel mehr,
- Die Trauer nimmt kein Ende mehr.
Oubli
Dogme – Autoportrait – David Noir –
Une œuvre, l’idée même d’une œuvre me paraît une vieille chose antique. Idem pour la controverse, l’admiration, tout ce qui fait, non les arts, mais le commentaire de la culture. Cela me semble des concepts de salon du 19ème siècle.
J’écoute quelques minutes la voix de Duras et je coupe la radio. Même elle, dont j’aime le talent, la pensée, je n’ai pas envie de sa façon de faire à cet instant, de communiquer du sens à travers le fil sensible et impeccable de sa voix. Trop du style France Culture peut aussi tuer l’envie de culture … et pourtant, il n’y aurait rien d’autre à entendre. Mais parfois c’est pénible … forcément pénible, les icônes référentielles, quelques fois malgré elles. Tous les dogmes puent ; pas toutes les personnes.
Il y a un cirque dans la plupart des postures humaines qui m’insupporte aujourd’hui. Tellement loin d’une quelconque réalité de la nature, incontournable et terrible. Pourtant, ça ne tend qu’à dire ça ; les arts et les artistes et ceux/celles qui les apprécient. Tout ce qui est dit me semble plus vain que tout ce qui devrait ne pas se dire. Il faut que d’avantage de distance s’installe avec les contemporains pour que s’oublie un peu leur humanité derrière ce qu’ils/elles font ou ont fait. C’est ce qui m’est agréable chez les auteurs d’avant la communication et les témoignages enregistrés. Ils existent d’autant plus qu’on ne peut jamais vraiment se figurer qui ils/elles étaient. C’est souvent mieux. Pas toujours, pas systématiquement, mais souvent, ça évite le maniérisme d’une esthétique qui vient se surajouter à une production d’autant plus belle et mystérieuse qu’elle n’a plus de géniteur.