Monthly Archives: août 2014

Suzanne

Suzanne est morte. À la demande de B, nous avons veillé le corps de Suzanne avec D, dans le froid et la pénombre de la chambre du service « réanimation » de l’oncopole de Toulouse où elle s’est éteinte.

Je suis content d’être arrivé à temps de Paris et d’avoir eu la chance de voir quelques minutes sa faible respiration soulever encore sa poitrine 1h avant qu’elle ne s’interrompe définitivement.

J’ai pu toucher brièvement la peau de sa main et de son front encore chaude d’un souffle de vie.

J’ai touché à nouveau du bout des doigts le dessus de son poignet alors qu’elle n’était plus. Le contact fut glacé cette fois, bien évidemment, comme on le dit dans les films et dans la littérature.

Le chagrin n’est pas toujours fait uniquement de tristesse. Le dit-on aussi parfois dans la littérature ou les films ? Parfois le chagrin est à sa place. Il faut le vivre pour le savoir. Pour savoir combien le chagrin peut être juste, peut prendre justement sa place pour se mettre en équilibre avec la mort si triste, elle, si injuste.

Tout au long de ces heures passées près de son corps inerte avec D, dans le train, puis seul à l’hôtel et encore maintenant, de retour chez moi, j’ai eu en tête une ritournelle chantée par une femme et reprise en choeur par des hommes, des soldats. Il s’agit de la chanson qu’interprète timidement devant les troupes la, pas encore, future madame Kubrick, à a fin des « Sentiers de la gloire ».

La chanson s’appelle « Der treue Husar » (Le Hussard fidèle).On peut l’entendre à la 4ème minute de cet extrait telle qu’elle me trotte dans la tête encore à l’instant où j’écris en pensant à Suzanne :

https://www.youtube.com/watch?v=s3ifRA0Kj-8

Avant de devenir Christiane Kubrick, la jeune actrice allemande exerçait son métier sous le nom de Susanne Christian. Sans doute est-ce dans ce deuxième prénom de baptême, Suzanne, mis en avant pour se créer un nom de scène qu’il faut chercher une raison à l’entêtante présence de ce refrain en arrière-plan de mon esprit durant ces quelques jours.

La Suzanne que j’ai connue, elle, était professeur d’allemand. Elle aurait traduit sans mal les paroles de ce Hussard fidèle que je ne peux comprendre sans aide. Les voici :

1. Es war einmal ein treuer Husar,
Der liebt’ sein Mädchen ein ganzes Jahr,
|: Ein ganzes Jahr und noch viel mehr,
Die Liebe nahm kein Ende mehr. 
2. Der Knab’ der fuhr ins fremde Land,
Derweil ward ihm sein Mädchen krank,
|: Sie ward so krank bis auf den Tod,
Drei Tag, drei Nacht sprach sie kein Wort. 
3. Und als der Knab’ die Botschaft kriegt,
Daß sein Herzlieb am Sterben liegt,
|: Verließ er gleich sein Hab und Gut,
Wollt seh’n, was sein Herzliebchen tut. 
4. Ach Mutter bring’ geschwind ein Licht,
Mein Liebchen stirbt, ich seh’ es nicht,
|: Das war fürwahr ein treuer Husar,
Der liebt’ sein Mädchen ein ganzes Jahr. 
5. Und als er zum Herzliebchen kam,
Ganz leise gab sie ihm die Hand,
|: Die ganze Hand und noch viel mehr,
Die Liebe nahm kein Ende mehr. 
6. “Grüß Gott, grüß Gott, Herzliebste mein!
Was machst du hier im Bett allein?”
|: “Hab dank, hab Dank, mein treuer Knab’!
Mit mir wird’s heißen bald: ins Grab!” 
7. “Grüß Gott, grüß Gott, mein feiner Knab.
Mit mir wills gehen ins kühle Grab.
|: “Ach nein, ach nein, mein liebes Kind,
Dieweil wir so Verliebte sind.” 
8. “Ach nein, ach nein, nicht so geschwind,
Dieweil wir zwei Verliebte sind;
|: Ach nein, ach nein, Herzliebste mein,
Die Lieb und Treu muß länger sein. 
9. Er nahm sie gleich in seinen Arm,
Da war sie kalt und nimmer warm;
|: “Geschwind, geschwind bringt mir ein Licht!
Sonst stirbt mein Schatz, daß’s niemand sicht. 
10. Und als das Mägdlein gestorben war,
Da legt er’s auf die Totenbahr.
|: Wo krieg ich nun sechs junge Knab’n,
Die mein Herzlieb zu Grabe trag’n? 
11. Wo kriegen wir sechs Träger her?
Sechs Bauernbuben die sind so schwer.
|: Sechs brave Husaren müssen es sein,
Die tragen mein Herzliebchen heim. 
12. Jetzt muß ich tragen ein schwarzes Kleid,
Das ist für mich ein großes Leid,
|: Ein großes Leid und noch viel mehr,
Die Trauer nimmt kein Ende mehr. 

 

Source Wikipédia : https://de.wikipedia.org/wiki/Der_treue_Husar

 

André Lazare

 

Je pense ce matin à André Lazare, à sa femme à la beauté racée, Patricia, à certains membres de la petite équipe qu’il avait regroupée autour de lui, Valérie Chabrier, Alexis Meunier et certains/es autres, pour créer Capital Cinéma, sa société de distribution et de production à la fin des années 80. C’est à cette époque que j’ai eu la chance de les rencontrer.

J’occupais alors un poste sordide de veilleur de nuit à l’hôtel de Nice, rue de Rivoli, depuis 3 ans, qui épuisait ma vitalité et que j’abhorrais.

Sans autre introduction que ma mine de jeune homme enthousiaste et mes cernes de fatigue, André m’a accueilli dans son équipe plus encore qu’il ne m’a embauché, avec la générosité et la simplicité intelligente des vrais patrons qui savent ce que gagner sa vie veut dire,. Ce n’était que pour assurer un poste de standardiste et je ne prétendais à rien de mieux du moment que je sortais de l’enfer de l’hôtellerie, du service des petits déjeuner à 7h du matin et des périodes uniformes sans congés, à moins de les rattraper par autant de jour travaillés à leur suite.

La promesse d’une telle opportunité a suffit à insuffler suffisamment de joie et d’oxygène dans mon quotidien, pour que je puisse, un mois de préavis durant, cumuler, en journée mes nouvelles fonctions à l’accueil de Capital Cinéma et la nuit, achever de m’extirper de la médiocrité usante du travail que je quittais.

Il m’a même, tout aussi simplement et malgré d’incessants jonglages financiers auxquels il semblait devoir se livrer pour arriver à ses fins de producteur, ce qui l’occupait ardemment quotidiennement, permis l’accès aux magnétoscopes U-Matic de sa société et, apprenant que je pratiquais un peu de vidéo, a sollicité de visionner mes travaux. Ceux-ci étaient certainement les plus inintéressants que j’ai jamais pu produire et je comprends fort bien qu’il n’y donna pas suite.

Mon bonheur était bien suffisant de pouvoir intégrer son entreprise et avoir l’occasion de vivre les chaloupements fantasques de sa précaire embarcation.

Après quelques glorieux moments où l’on vit défiler une part du gratin du cinéma d’alors, tout ça finit plutôt mal à force d’impayés et les quelques survivants dont j’eus la chance d’être, virent les rats quitter le navire les uns après les autres, gentiment incités à partir par un petit monsieur Boisset, employé pour l’occasion à ces basses besognes.

Qu’importait cette débâcle momentanée à mes yeux ; il me semblait qu’André Lazare en avait essuyé bien d’autres et que son avenir comme son passé, serait émaillé d’autant de succès que de revers, les uns devant succéder aux autres. Car ainsi était l’homme, authentique producteur pour qui faire du cinéma devait certainement se fondre avec le rêve d’enfant d’être un aventurier.

Le vent tournait et c’était pour lui le moment d’abandonner le grand vaisseau Capital, le temps de panser ses blessures et de se refaire une santé, à l’abri, sur un îlot de boucaniers, avant de repartir en mer à l’abordage d’un nouveau projet. À nouveau, dans sa générosité extrême, il me proposa de m’embarquer dans sa prochaine aventure.

Cette fois, je dis non, avide de saisir la chance d’une année de repos et d’avoir l’opportunité de mettre toute ma concentration dans ce qui allait être mon premier long métrage de fiction expérimentale en vidéo, « Les animaux décousus », dont je ne sais ce qu’il en aurait pensé, mais que j’aurais été fier de lui soumettre si j’avais tenté de le revoir plus tard.

Il comprit sans mal mon envie d’autre chose et me gratifia d’une indemnité de licenciement à l’image de son éthique princière avec celles et ceux qu’il prenait en affection.

J’ai la vanité de penser que malgré la brièveté de cette fulgurante année à partager leurs aventures, il en fut ainsi pour moi, car tant André que Patricia, par des marques de sympathie parsemant le travail, surent me le faire sentir.

Il y aurait sûrement un roman à écrire sur la vie de cet homme que j’ai bien peu connu mais dont il était facile de sentir la dimension de ce qu’elle avait dû et devait être.

Je me contenterai aujourd’hui de témoigner comme je l’ai fait ici, du peu que j’en sais et surtout de dire que quelque chose en moi regrette de ne pas avoir suivi André dans la poursuite de ses aventures. Non que je déplore mon choix d’orientation d’alors, car le peu que j’ai fait jusqu’ici en découle, mais il est des choses de la vie que la jeunesse admirative ressent, sans pour autant en prendre la juste mesure à partir de sa source. Mon regret consiste en ne pas avoir eu assez de maturité pour établir un lien plus profond avec André Lazare ; tout simplement, mieux le connaître.

C’est à l’aune de la vaste médiocrité des comportements que l’on croisera par la suite, qu l’on peut parfois s’apercevoir réellement et rétrospectivement, de l’étendue exacte de la valeur d’une rencontre.

Lorsque j’ai été mis au courant de son décès brutal en 2008, j’en ai été profondément heurté et comme presque toujours dans ces cas là, incapable d’y réagir autrement que par une dénégation tant cette nouvelle m’affectait. L’injustice de sa mort me mit en colère. Je minimisais l’impact d’André dans ma vie et décidais de ne pas me rendre à ses obsèques. Pourtant à cet instant, toutes mes pensées allèrent à Patricia, la seule de ses proches que je connus effectivement. Je ne pus le lui dire alors.

Je lance cette bouteille pour qu’un jour peut-être elle le sache, inspirée par un même souffle de vent, et que le hasard fasse se rejoindre les dérives de ses recherches sur le nom d’André et le ressac du référencement Google qui ferait remonter fortuitement cet article à la surface.

André Lazare – Biographie

 

Oubli

Dogme - Autoportrait - David Noir -

Dogme – Autoportrait – David Noir –

Une œuvre, l’idée même d’une œuvre me paraît une vieille chose antique. Idem pour la controverse, l’admiration, tout ce qui fait, non les arts, mais le commentaire de la culture. Cela me semble des concepts de salon du 19ème siècle.

J’écoute quelques minutes la voix de Duras et je coupe la radio. Même elle, dont j’aime le talent, la pensée, je n’ai pas envie de sa façon de faire à cet instant, de communiquer du sens à travers le fil sensible et impeccable de sa voix. Trop du style France Culture peut aussi tuer l’envie de culture … et pourtant, il n’y aurait rien d’autre à entendre. Mais parfois c’est pénible … forcément pénible, les icônes référentielles, quelques fois malgré elles. Tous les dogmes puent ; pas toutes les personnes.

Il y a un cirque dans la plupart des postures humaines qui m’insupporte aujourd’hui. Tellement loin d’une quelconque réalité de la nature, incontournable et terrible. Pourtant, ça ne tend qu’à dire ça ; les arts et les artistes et ceux/celles qui les apprécient. Tout ce qui est dit me semble plus vain que tout ce qui devrait ne pas se dire. Il faut que d’avantage de distance s’installe avec les contemporains pour que s’oublie un peu leur humanité derrière ce qu’ils/elles font ou ont fait. C’est ce qui m’est agréable chez les auteurs d’avant la communication et les témoignages enregistrés. Ils existent d’autant plus qu’on ne peut jamais vraiment se figurer qui ils/elles étaient. C’est souvent mieux. Pas toujours, pas systématiquement, mais souvent, ça évite le maniérisme d’une esthétique qui vient se surajouter à une production d’autant plus belle et mystérieuse qu’elle n’a plus de géniteur.

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