par Jean-Louis Châles
“LES PULSIONS DU CŒUR ET DE LA CRÉATION”
La Marseillaise du VAUCLUSE
Dimanche 20 juillet 2003
AViGNON, LA CHRONIOUE DU OFF PAR JEAN-LOUIS CHÂLES .
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LES PULSIONS DU CŒUR ET DE LA CRÉATION
A quelques mètres de la rue de la Carreterie, lové le long du Rempart Saint-Lazare au N°56, à l’abri de l’agitation du Festival,
Le Pulsion Théâtre prend des allures d’ovni théâtral, loin des tractations mercantiles d’un grand nombre de théâtres du Off.
Ici, pour jouer, on ne loue pas la salle. Il suffit d’être agréé par Maria Ducceschi qui ajoute à ses activités de comédienne, d’auteur, de metteur en scène, de professeur celle, plus périlleuse, de directrice de salle. Ici, point de discrimination: la programmation joue la carte de l’éclectisme dont le seul dénominateur commun serait la création contemporaine, sous toutes ses formes. Bel exemple de prise de risque et d’ouverture d’esprit. De 10h du matin jusque 23h30 pas moins de 9 spectacles s’enchaînent dans une convivialité rare, un respect mutuel entre les troupes d’où toute notion de concurrence est exclue naturellement. Petit tour dans cette jolie salle gradinée et fort bien équipée et rencontre avec une femme aux yeux clairs qui n’hésite pas à investir ses cachets gagnés au cinéma ou à la télévision pour «impulser» les créateurs auxquels elle croit.
LES INNOCENTS OU 16 À NEZ NOIR
Pourquoi, dans nos sociétés dites civilisées, avons-nous si peur de la nudité ? Le sexe, malgré une prétendue évolution, reste toujours cet objet mystérieux, honteux qu’on évoque dans les plaisanteries les plus grasses, qu’on exhibe en gros plan (avec double code parental) dans les filns pornos. A la télévision, il fait recette. On en parle beaucoup mais en invitant pléthore de psys, toubib, cravatés ou. animateur émoustillés et rigolards Comme pour désamorcer une improbable bombe.
David Noir fustige cette honteuse hypocrisie et dénude ses comédiens pou construire les vénéneuse images d’un zoo humain qui a perdu ses repères, ses vraie valeurs. Auteur enivré de phrases choc, luxuriantes, il manipule les mots, les phrases pour frapper en plein ventre acteurs et spectateurs. Il dénonce comme d’autres respirent. Parce que sinon il s’asphyxie. Après Les Justes, spectacle coup de poing vu l’année dernière, il propose des Innocents plus recadrés, enveloppés dans la ouate blanche de traversins, oreillers, draps ou longues chemises de coton. Ici pas d’éclaboussures, le sang coule à l’intérieur des corps, irrigue les mots, suscite les désirs. Les acteurs-adultes redeviennent les enfants qu’on a oublié de rester, s’encastrent les uns dans les autres, ou mâchent leur solitude au fond du décor. Quelques chansons (aux arrangements fort réussis) fouettent nos décideurs (de Jean-Michel Ribes aux donneurs de subventions), chaque comédien prend une parole lapidaire, comme en sentence, un appel au secours. On esquisse un pas de danse, comme des écoliers dans une cour de récréation, on ouvre la porte à nos rêves les plus fous. On leur donne corps et âme. Avec une tristesse narquoise, une douce provocation. Il faut saluer l’extraordinaire aisance, le discret aplomb de l’ensemble de la compagnie. Par pudeur elle ne nous laisse guère le temps d’applaudir cet étonnant spectacle charnel et dérangeant qui décrasse nos préjugés. Peur des remerciements ? A défaut donc de frapper dans nos mains, n’hésitons pas à participer à cette fête. Entre cauchemar et fantasme assouvi.
J.-L. C.
Les Innocents, ou 16 à nez noir, à 22h. . Réservations 04.90.86.36.83
MARIA DUCCESCHI : « JE VEUX RESTER LIBRE DE MES CHOIX ))
« Je fréquente le festival Off depuis de nombreuses années. J’en avais assez d’être sans cesse à la recherche d’une salle. Je ne voulais plus rien demander à personne. Avec Staf Aichouche, régisseur professionnel. nous nous sommes dits .« On va prendre un lieu qu’on choisira nous-mêmes ». Lui gérera la partie technique. Moi l’aspect artistique».
Certains propriétaires de salles, du côté de la place de l’Horloge, faisaient les yeux doux à Maria pour qu’elle prenne en charge leur théâtre, ayant bien compris le professionnalisme et la pugnacité de la comédienne. Mais Maria refuse de diriger un théâtre-bureau. Entendez par là un théâtre qui se contente de louer (à un prix souvent prohibitif) un créneau en ne se souciant que de très loin de la qualité ou de l’opportunité de sa programmation. Forte des ses idées, l’an dernière, elle ouvre le Pulsion Théâtre, investit beaucoup d’argent et propose des contrats de co-production aux compagnies qu’elle choisit selon ses coups de cœur.
«Cette année j’ai vu 134 pièces… sans me poser de questions sur le genre auquel elles appartiennent. Moi-même j’ai joué un répertoire très varié: de la comédie la plus racoleuse aux textes les plus abscons. Ce qui importe c’est l’émotion collective que génère un spectacle. J’ai bâti ma programmation dans cet esprit, avec des gens qui veulent partager avec moi une aventure familiale, au sens fort du terme. Je ne veux pas de copains mais des amis. Ici on peut applaudir aussi bien Danièle Evenou que David Noir. Ils vivent leur métier de la même manière. Ils sont ce qu’ils font. Vive la diversité. Le public n’est pas forcément unifié dans la connaissance ».
On se doute des risques financiers encourus. L’actualité sociale a amputé cette édition 2003 du Festival, alimente encore davantage le « bouillon» dans lequel peut se noyer une telle prise de position: Alors, pourquoi ne pas réclamer de l’aide aux autorités gouvernementales ou municipales ? Le regard vert clair de Maria vire alors au ciel d’orage.
« Je ne veux surtout pas de subvention. Je veux rester libre de mes choix, de mes erreurs. On ne fait pas pression sur moi. Bien sûr j’aimerais gagner de l’argent au Festival pour nous auto financer. L’argent est un moyen de continuer, ce n’est en aucun cas une fin en soi. Qu’on arrête de louer des salles, qu’on trouve une manière de se fédérer. Ce système ne peut pas perdurer ».
Bien sûr on s’inquiète du devenir du Pulsion Théâtre. Mais déjà de grands noms ont affirmé leur désir d’y faire leur création: Feodor Adkine, Harcourt, Thomas Le Douarec… Maria prend congé. Elle doit regagner le théâtre pour veiller au bon accueil du public entre la fin et le début de chaque spectacle. Ils ne sont que trois pour gérer le lieu. Si une évidente fatigue marque les visages, de belles étoiles brillent dans leurs yeux. Celles qui éclairent tous ceux qui travaillent avec une vraie liberté d’esprit et de conscience. Une liberté que Maria paie au prix fort. Elle s’en fiche.
Propos recueillis par Jean-louis CHÂLES