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Magazine Théâtre - Les Innocents de David Noir

MAGAZINE THEATRE

juillet 2004 / Pierre Notte

Les Fureurs-Noir

Le sang va couler à Avignon

Juin 2001, Pierre Cardin, maître en son domaine, s’assied dans l’un des fauteuils bleu-velours de la petite salle de son Espace, près des Champs-Élysées. Sur le plateau, beau gosse, la vingtaine, Miguel-Ange, devenu entre-temps chansonnier, se dénude. Le jeune homme ne porte plus qu’une véritable couche-culotte. Il l’ôte. La dizaine des membres de la troupe chante Sardou, allonge le garçon fesses offertes face public, et badigeonne son juvénile anus de crème chocolatée. Il hurle, on rajuste sa couche, et Pierre Cardin sort, furax. Le lendemain, troisième jour de représentation des Justes-story de David Noir, le spectacle est censuré. Fin de l’aventure. La quarantaine activiste, David Noir s’énerve en toutes circonstances contre l’avachissement de ses semblables face aux désastres familiaux ou citoyens. Petit héritier ruiné du peintre Cézanne, il a réuni une troupe d’une dizaine de fidèles, anciens acteurs de rue du Parc Astérix pour moitié, où Noir improvisait avec eux au sein des troupes intermittentes. Spectacles coups-de-poing, Les Puritains, Les Justes-Story comme Les Innocents ne ménagent personne, enchaînent scènes gore, porno-trash et vitupérations haineuse contre la société du spectacle et de la boeuferie généralisée. Directrice indépendante d’un théâtre d’Avignon Off, le « Pulsion », jauge d’une centaine de places, Maria Ducceschi découvre l’univers de Noir et de sa troupe, le défend coûte que lui en coûte. Elle programme Les Justes-Story à l’été 2002, n’exige aucune garantie. (Engagement d’exception, puisqu’en moyenne, jouer une heure trente parmi les quelques six cents propositions du Off coûte aux compagnies locataires en moyenne 7600 euros hors taxes. ) Les membres de La Vie est courte s’installent à une heure de là, à Uzès, chez la mère avignonnaise de la chanteuse soprano de la compagnie, Any Tournayre. Ils dorment à même le sol. La Vie est courte mais communautaire. Communication, déplacements, intendance… Les dommages et intérêts versés par Pierre Cardin financent la troupe, qui dépense dix mille euros, sans rentrer dans ses frais, et s’en tire avec trois mille euros de bénéfices en fin de course. La seule inscription de leur actualité dans le journal Avignon Public Off coûte en 2004 quatre cents euros. La compagnie s’inscrit gratuitement par ailleurs au sein d’Alfa, nouvelle association concurrente. Ils en appellent aux fonds privés, mécénats et autres autofinancements. Déménageur, régisseur, l’acteur Jean-François Rey, incite à brocanter, vendre, vider greniers et caves pour amasser les moyens de se produire. Jérôme Coulomb, musicien, compose à la demande. Graphiste et comédien, Philippe Savoir dessine affiches et tracts sans le sous, dirige la Com, et répète depuis six ans comme tous ses camarades, sans cachets. Question de foi. Dans la Cité des Papes, ils tractent, deux heures par jour, paradent selon l’humeur, jouent contre vents, marées et réactions parfois violentes d’un public bousculé dans ses habitudes consuméristes. Curieux, Jérôme Lecardeur, Directeur de la Scène Nationale de Dieppe, assiste à une représentation des Justes, et offre une résidence à la troupe, pour une création en mai 2003 au sein du festival Visu. Avec sa première subvention de quinze mille euros, Noir agrandit sa bande. Il compose Les Innocents, trois heures d’un spectacle débridé, chanté, agité, pour seize comédiens. « Souplesse d’esprit et engagement héroïque sont nos plus grandes richesses… » s’amuse Sonia Codhant. A 32 ans, l’actrice a trouvé sa voie dans ce collectif libre d’artistes performeurs. Administratrice, chanteuse, danseuse, elle rejoue cette année à Avignon Off le messie crucifié ; et s’entoure d’hommes nus qui agitent sur son front une réelle « couronne des pines ». Blonde au corps de « Bimbo », Sonia joue les cannibales ou les enfants extraterrestres, se fait guerrière en jarretelles dans une satire à l’acide des temps contemporains, passant le monde à la moulinette d’une hargne sans brides. Elle ose tout parmi une quinzaine de fous-furieux, tous irradiant d’audace et d’une liberté rare. Les Innocents se montrent en 2003 à Rouen à l’invitation de Marianne Clévy pour le festival Corps de Textes, puis se formatent en une heure dix pour le festival Off. L’annulation du In n’arrête ni David ni son combat. « L’artiste dit-il, doit rester un trublion, un bouffon. Il n’a pas à revendiquer sa petite place dans la hiérarchie du pouvoir. » Les pertes se chiffrent à 7000 euros. Eté 2004, ils remettent ça. Mais le paysage a changé. Mieux lotie que les années précédentes, la troupe est cette fois-ci logée au collège Saint Jean-Baptiste de la salle en chambres de deux. Un comédien de la compagnie avance les sous, dix mille euros de sa poche, pour qu’Avignon puisse se faire. Noir vit de sa mission : « A Avignon, dit-il, je voudrais éradiquer les officiels du In comme les crados du off. Les Innocents, c’est contre le théâtre paternaliste des collaborateurs, celui des pères, qui donnent du commentaire, du confort et du consensus. Nous, on veut donner de l’amour. » Pour la santé financière de la compagnie, l’intérêt des efforts réside dans la rencontre avec les programmateurs et les diffuseurs, pour que le spectacle vive, tourne, se vende. Sinon, tout se fait à perte. Ils prennent le risque de ne pas se relever. C’est dire l’engagement des artistes.

Pierre Notte

Les Innocents, Pulsion Théâtre, 56, rue du Rempart St Lazare – 84000 AVIGNON remparts d’Avignon, Tél. : 04 90 82 03 27. festival Off, avec Rémy Bardet, Valérie Brancq, Sonia Codhant, Jérôme Coulomb, Pascal Groleau, Florence Médina, David Noir, Marie Notte, Marie Piémontèse, Jean-François Rey, Any Tournayre…
SITE : www.avignon-alfa.org

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Les Justes-Story de David Noir - Affiche Filifox - Philippe Savoir - Photo Karine Lhémon
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par Cristina Marino

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“L’ART DE DÉPLAIRE SELON DAVID NOIR”

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“LES JUSTES-STORY” :
L’ART DE DÉPLAIRE SELON DAVID NOIR

mercredi 9 janvier 2002
RETIRÉE DE L’AFFICHE PAR PIERRE CARDIN EN JUIN 2001 APRÈS UNE SEMAINE DE PROGRAMMATION DANS SA NOUVELLE SALLE, LA TROUPE DE DAVID NOIR, “LES PURITAINS”, REVIENT SUR LES PLANCHES D’UN THÉÂTRE PARISIEN, LE TRIANON, POUR HUIT REPRÊSENTATLONS EXCEPTIONNELLES DU 7 AU 10 ET DU 14 AU 17 JANVIER 2002. L’OCCASION POUR LE PUBLIC ET LES CRITIQUES DE DÊCOUVRIR ENFIN “L’OBJET DU DÉLIT” ET DE JUGER SUR PIÈCES CETTE CRÉATION HORS NORMES, INTERDITE AUX MOINS DE 18 ANS, AURÉOLÉE D’UN PARFUM DE SCANDALE ET DE CENSURE.

LES INFORMATIONS PRATIQUES
DIFFICILE D’ÉVALUER LA NOUVELLE PIÈCE DE DAVID NOIR À L’AUNE DES CRITÈRES HABITUELS DE LA CRITIQUE THÉÂTRALE. LES SCHÉMAS DE PENSÉE TRADITIONNELS S’APPLIQUENT MAL, EN EFFET, À CET “OBJET THÉÂTRAL NON IDENTIFIÉ” DONT LE PRINCIPAL OBJECTIF SEMBLE ÉTRE DE ROMPRE AVEC LE THÉÂTRE INSTITUTIONNEL ET DE BAFOUER LES PRINCIPES ÉLÉMENTAIRES DE LA REPRÉSENTATION CLASSIQUE. UNE CHOSE EST SÛRE: “LES JUSTES-STORY”, DEUXIÈME CRÉATION DE CE JEUNE METTEUR EN SCÈNE APRÈS “LES PURITAINS” – PIÈCE ECRITE EN 1997-98 ET REPRÉSENTÉE AU LAVOIR MODERNE PARISIEN ENTRE MARS ET SEPTEMBRE 2000 -, NE FAIT PAS DANS LA DENTELLE.

PROVOCATION, MAUVAIS GOÛT, PORNOGRAPHIE, OBSCÉNITÉ… VOILÀ CE QUI CARACTÉRISE AU PREMIER ABORD CETTE “COMÉDIE MANGA-MUSICALE CLOWNESQUE 100% HAINEUSE” POUR REPRENDRE LES TERMES MÊMES DE SON AFFICHE. DÈS LES PREMIÈRES MINUTES DE LA REPRÉSENTATION, TOUT EST MIS EN ŒUVRE POUR METTRE LE SPECTATEUR MAL À L’AISE ET LE FAIRE SORTIR DE SA PASSIVITÉ HABITUELLE. LES ARTIFICES LE PLUS SOUVENT UTILISÉS POUR FAIRE CROIRE À L’ILLUSION DU THÉÂTRE SONT ICI SYSTÉMATIQUEMENT SUPPRIMÉS OU DÉTOURNÉS. PAS DE LEVER DE RIDEAU, PAS DE SALLE PLONGÉE DANS LE NOIR MAIS UNE LUMIÈRE ÉCLAIRANT LE PUBLIC PENDANT TOUTE LA REPRÉSENTATION, DES COMÉDIENS QUI LISENT OUVERTEMENT LEURS TEXTES PLUTÔT QUE DE LES RÉCITER, DES COULISSES VOLONTAIREMENT VISIBLES OU LES MEMBRES DE LA TROUPE DISCUTENT, MANGENT UN MORCEAU, FUMENT UNE CIGARETTE ENTRE DEUX RÉPLIQUES. LA SACRO-SAINTE DISTANCE ENTRE LA SCÈNE ET LA SALLE, RESPONSABLE AUX YEUX DE DAVID NOIR DE LA LÉTHARGIE OU PUBLIC, EST ABOLIE: LES COMÉDIENS CIRCULENT LIBREMENT ENTRE LES FAUTEUILS, S’ASSOIENT À CÔTÉ DES SPECTATEURS ET DISCUTENT AVEC EUX. CETTE VOLONTÉ DE FAIRE RÉAGIR LE PUBLIC, DE LE PROVOQUER JUSQUE DANS SES DERNIERS RETRANCHEMENTS, SEMBLE ÊTRE ÉRIGÉE EN RÈGLE ABSOLUE, EN PRINCIPE DE BASE POUSSÉ JUSQU’À L’EXTRÊME. QUITTE À VOIR PARTIR AU BOUT D’UN QUART D’HEURE DES RANGS ENTIERS DE SPECTATEURS TROP CHOQUÉS OU ÉNERVÉS POUR ASSISTER À LA SUITE DE LA REPRÉSENTATION. INUTILE CEPENDANT DE S’ÉTERNISER SUR LE SUJET MÊME DE LA PIÈCE. CONTENTONS-NOUS DE DIRE QU’IL Y EST QUESTION DE SEXE (BEAUCOUP), D’ARGENT ET DE POUVOIR. THÈMES SOMME TOUTE ASSEZ BANALS MAIS PRÉSENTÉS ICI SOUS LEURS FORMES LES PLUS EXCESSIVES ET OBSCÈNES. LE TOUT IMPRÉGNÉ D’UNE ESTHÉTIQUE TRÈS MODERNE FAITE D’UN MÉLANGE DE MANGAS, DE JEUX VIDÉOS, DE GÉNÉRIQUES D’ÉMISSIONS TÉLÉVISÉES ET D’IMAGES PORNOGRAPHIQUES. LA TROUPE DES « PURITAINS » (HUIT COMÉDIENS ET UNE COMÉDIENNE) DONNE VIE AVEC BEAUCOUP D’ÉNERGIE ET DE CONVICTION À UNE GALERIE DE PERSONNAGES LOUFOQUES À MI-CHEMIN ENTRE HÉROS DE DESSINS ANIMÉS, PRÉSENTATEURS TV, ET STARS DE CINÉMA. TOUS SEMBLENT ÊTRE PRIS AU PIÈGE D’UN IMMENSE JEU TÉLÉVISÉ, UNE SORTE DE “LOFT STORY” EN VERSION TRASH, PRÉSENTÉ PAR UN ANIMATEUR SADIQUE QUI LES SOUMET AUX PIRES HUMILIATIONS. AVEC UNE ENVIE QUASI-MALADIVE DE TOUT MONTRER, TOUT DÉVOILER SUR SCÈNE, SOUVENT MÊME JUSQU’A LA SATURATION ET L’ÉCŒUREMENT: LES CORPS, LES SEXES (PARTICULIÈREMENT CEUX DES HOMMES). LES ACTES LES PLUS BARBARES OU IMMORAUX (PÉDOPHILIE, INCESTE, VIOL, SODOMIE). CE QUI EXPLIQUE EN PARTIE LES RÉACTIONS VIOLENTES DE CERTAINS SPECTATEURS, DONT PIERRE CARDIN (LIRE À CE SUJET NOTRE ARTICLE DU 27 JUIN 2001).
DOMMAGE QUE, DANS CETTE PIÈCE, LA FORME L’EMPORTE SOUVENT SUR LE FOND. EN EFFET DERRIÈRE LES PROVOCATIONS VOLONTAIREMENT OUTRANCIÈRES DE LA MISE EN SCÈNE QUI PEUVENT LÉGITIMEMENT CHOQUER UNE PARTIE DU PUBLIC, LE CONTENU MÊME DES « JUSTES-STORY » MÉRITE LE DÉTOUR. TOUT D’ABORD PARCE QUE DAVID NOIR A UN RÉEL TALENT D’ÉCRITURE ET QU’IL MANIE AVEC HABILETÉ LA LANGUE FRANÇAISE. SON TEXTE EST TRUFFÉ DE JEUX DE MOTS, DES JEUX DE MOTS RÉELLEMENT ORIGINAUX OU PARFOIS PLUS FACILES, POUR DÉPEINDRE LES MAUX DE LA SOCIÉTÉ. IL S’EN DÉGAGE UNE ÉTRANGE MÉLODIE DU CHAOS, UNE POÉSIE DE L’ABSURDE. MAIS IL FAUT TENDRE L’OREILLE POUR LA PERCEVOIR DERRIÈRE LE FRACAS DE LA MUSIQUE ET L’IRONIE BRUYANTE DES PARODIES GRIVOISES DE CHANSONS À LA MODE. DERRIÈRE LES APPARENCES D’UN CIRQUE GRAND-GUIGNOLESQUE, “LES JUSTES-STORY” RECÈLE DE RÉELS TRÉSORS D’ÉCRITURE ET DES INTERROGATIONS TRÈS CONTEMPORAINES.

À UNE ÉPOQUE OÙ L’OBSESSION DU SEXE A ENVAHI LES AUTRES CHAMPS DE LA CULTURE, LA LITTÉRATURE COMME LA PEINTURE, OÙ LES IMAGES DE VIOLENCE ET DE SANG DÉFILENT À LONGUEUR DE JOURNÉE SUR NOS ÉCRANS DE TÉLÉVISION, POURQUOI LE THÉÂTRE RESTERAIT-IL À L’ÉCART DE CETTE TENDANCE GÉNÉRALE ? COMMENT TRADUIRE SUR LES PLANCHES AVEC DES COMÉDIENS EN CHAIR ET EN OS CETTE OMNIPRÉSENCE DU SEXE ? AUTANT DE QUESTIONS AUXQUELLES DAVID NOIR TENTE D’APPORTER UNE RÉPONSE ORIGINALE AVEC SA PIÈCE. AU RISQUE DE DÉPLAIRE À PLUS D’UN SPECTATEUR.

CRISTINA MARINO

Les Justes-Story. Texte et mise en scène de David Noir. Avec la troupe des « Puritains » : Sonia Codhant, Jérôme Coulomb, Stéphane Desvignes, Jean-Hugues Laleu, Jacques Meystre, David Noir, Jean-François Rey, Miguel-Ange Sarmiento, Philippe Savoir. Musiques originales: Jérôme Coulomb. Chant: Any Tournayre. Costumes: Anne-Marie Baron et Valérie Siksik. Production: compagnie La Vie est courte.
Le Trianon. 80, boulevard de Rochechouart, 75018 Paris. Métro: Anvers. Du lundi 7 au jeudi 10 janvier et du lundi 14 au jeudi 17 janvier 2002 à 20h45. Tél. : 01-4424-52-14. Tarifs: 20 € (131,19 F) ; réduit: 15 € (98,39 F).

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Le Monde.fr - Les Justes-Story de David Noir interdit de scène par Pierre Cardin
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“Les Justes-Story” interdit de scène par Pierre Cardin

Extrait (Cliquez sur la vignette de l'article pour voir l'original)

La nouvelle création de David Noir et sa troupe “Les Puritains” a été déprogrammée à l’Espace Pierre Cardin (Paris-8e) une semaine après la première. Pourquoi cette “censure-prise”, pour reprendre le jeu de mots employé par ce metteur en scène pour annoncer la nouvelle aux médias ?

Mis à jour le mercredi 27 juin 2001

 

Vendredi 15 juin, 20h30. Un message tardif tombe dans la boîte aux lettres électronique de plusieurs rédactions parisiennes. Intitulé “Cardin censeur”, il s’ouvre sur un jeu de mots inscrit en majuscules noires: “Censure-prise”. Le metteur en scène David Noir y annonce en quelques lignes la décision prise par Pierre Cardin de retirer de l’affiche de son nouveau lieu de spectacles la dernière création de la troupe des “Puritains”.
La déprogrammation d’une pièce de théâtre une semaine après sa première, voilà une information qui n’aurait guère dû passer inaperçue dans le paysage culturel français. Et pourtant, malgré quelques articles parus de ci, de là, dont une interview de David Noir par Fabienne Arvers dans Les Inrockuptibles, cet événement n’a guère suscité de réactions dans le petit monde de la critique théâtrale parisienne. Retour sur les faits. Il y a quelques mois, Pierre Cardin décide de transformer l’une des salles de son Espace, avenue Gabriel dans le 8e, en un lieu entièrement dédié à la jeune création contemporaine. Il l’a baptise “Le Petit Espace Pierre Cardin” et en confie la direction artistique à Nicolas Laugero, déjà attaché de presse des spectacles montés à l’Espace. Ce dernier fait alors appel à l’auteur, metteur en scène et comédien David Noir pour monter le premier spectacle destiné à inaugurer cette salle. Il connaît le travail de cette compagnie pour avoir assuré les relations presse de leur précédente création au Lavoir Moderne Parisien, “Les Puritains”.
Tout se passe sans accroc pendant les répétitions de la pièce. Mais un incident survient le soir de la première, le mardi 5 juin. Visiblement très choqué par certaines scènes du spectacle de David Noir, Pierre Cardin quitte la salle au bout de vingt-cinq minutes de représentation. Puis, une semaine après, la décision tombe comme un couperet pour la troupe: le retrait définitif des “Justes-Story” de l’affiche du Petit Espace Pierre Cardin, c’est-à-dire la déprogrammation pure et simple des 14 représentations prévues jusqu’au 29 juin. Une entrevue de la dernière chance est organisée entre Pierre Cardin et David Noir. Mais, entre les deux, l’incompréhension est totale, les échanges de mots plutôt violents et la rupture définitivement consommée, d’après les échos rapportés par chacune des parties.
Du côté de l’Espace Pierre Cardin, Nicolas Laugero, tout en affirmant son désir personnel de continuer à défendre coûte que coûte le travail de David Noir, ne peut qu’entériner la décision sans appel prise par le maître des lieux.“Certaines scènes de la pièce “Les Justes-Story” font explicitement allusion à des actes de pédophilie et d’inceste. Aux yeux de Pierre Cardin, cela est totalement incompatible avec son image de marque à travers le monde. En tant qu’ambassadeur de la paix auprès de l’Unesco, il ne peut absolument pas se permettre de laisser penser qu’il cautionne de tels comportements.” Quand on lui fait remarquer que Pierre Cardin aurait pu s’en rendre compte beaucoup plus tôt, bien avant la première, Nicolas Laugero invoque l’emploi du temps très chargé de ce directeur de théâtre aux multiples fonctions, qui ne lui a guère permis d’assister aux répétitions de la troupe avant le soir de la première.

Du côté de David Noir et de sa compagnie “Les Puritains”, l’heure est plutôt à la colère et à un profond sentiment de révolte. “L’attitude de Pierre Cardin à notre égard est totalement incompréhensible. Pourquoi a-t-il attendu une semaine pour nous annoncer la déprogrammation du spectacle ? A-t-il subi entre temps des pressions de la part de son entourage qui l’ont poussé à interdire notre pièce ?” Le metteur en scène affirme n’avoir jamais caché à Pierre Cardin la nature profondément provocatrice de sa nouvelle création. “Les rares fois où j’ai pu le rencontrer, je lui ai montré des photos de mon précédent spectacle, “Les Puritains”, et des extraits de textes. Il pouvait dès lors se faire une idée précise de la dimension extrême de mon travail. Pour moi, il n’y a jamais eu leurre sur la marchandise.”

La prochaine étape pour le metteur en scène? Obtenir des dommages et intérêts de l’Espace Pierre Cardin pour rupture de contrat abusive, mais surtout trouver rapidement une nouvelle salle de théâtre pour accueillir sa troupe.“Car, dit-il, jouer notre spectacle dans un autre lieu serait la meilleure réponse à apporter à l’attitude inadmissible de Pierre Cardin.” Que pense-t-il des arguments invoqués par ce dernier pour interdire la pièce ? “Montrer sur scène des actes à caractère pédophile ou incestueux, ce n’est en aucun cas cautionner ce genre de pratiques. Il ne faut pas confondre les mots et les actes, la représentation théâtrale et la réalité des faits.” Et il ajoute: “1l ne s’agit pas pour moi de faire de la provocation gratuite. Au contraire, “Les Justes-Story” s’inscrit dans la logique de mon précédent spectacle “Les Puritains” et dans le cadre plus général d’une réflexion sur la nature de la représentation théâtrale. A l’image des bouffons du Moyen-Âge, je me situe dans le registre du grotesque, du burlesque, qui bascule parfois dans le tragique. Je cherche à tendre au public un miroir déformant dans lequel les pulsions, les désirs refoulés, toutes ces petites et grandes horreurs qui sont en chacun de nous, apparaissent grossis et exagérés.” L’objectif de David Noir ? Provoquer une réaction de la part du public: “Si cela pouvait faire sortir les spectateurs de l’engourdissement, de la léthargie qui les gagne le plus souvent devant une scène de théâtre, mon travail n’aurait pas été vain. Toute réaction, même la plus violente et radicale, est intéressante.”

Question réaction, celle de Pierre Cardin a sans doute paradoxalement dépassé les espérances de David Noir. Mais peut-être est-ce là aussi, hélas, l’un des revers du métier de bouffon: se voir rejeter dès que l’on cesse de divertir le Prince et sa cour ?

Cristina Marino
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